En bande, réunis par le skate qui conjugue identification et usages du corps, ces garçons sillonnent sous le regard de Marion Gervais les spots à la recherche d’un destin.
La belle vie Les slogans changent mais y a-t-il finalement une si grande différence entre ces jeunes épris d’évasion, de liberté et de vitesse, et les jeunes d’hier ? La fonction du père ? Ce documentaire laisse une place prépondérante à l’interrogation de la transmission dans le discours de cette bande de jeunes. Pierre n’est « pas habitué à avoir un père qui [|’] aime », dit-il. Et pourtant il se reprend, il reformule, pour aboutir au constat : il entend que son père l’aime comme il a été aimé par son propre père. Enzo s’interroge sur ce père qui l’a reconnu tardivement. Et s’accroche au papier de reconnaissance d’état civil en se le réappropriant jusqu’à réécrire dessus sa version de la filiation. Enzo est fier malgré tout que son père : « bouge son cul pour [lui] ». Glen scrute l’horizon de la mer, qui prend l’homme et qui lui prend son père « deux fois, trois mois par an ». Et il ne se cache pas de dire que son père lui manque et d’espérer lui manquer en retour. À quels pères ont-ils eu affaire, quels fils sont-ils pour ces pères en essayant de projeter ainsi quels hommes ils pourraient devenir ? En ce sens ce documentaire est aussi la place faite à l’espoir de la rencontre sexuelle. Parce que même si c’est « trop compliqué les meufs », cela intrigue. Les écrans, l’accès débridé à l’information comme à la jouissance, libre d’accès justement, n’empêche pas les vrais questions : « Toi les filles c’est pas ton truc ? » Avec pudeur les garçons parlent entre eux des filles. S’entremêlent l’espoir de grandir, peut-être même que c’est possible de « grandir d’un coup ». En attendant ils comptent les centimètres avec l’espoir de prendre de la taille. Mais malgré tout « J’ai pas envie de grandir car après j’ai l’impression tu as plus de mal à apprécier la vie ». Comment vont-ils pouvoir parvenir à se nommer dans le monde ? Être skateur est leur manière singulière, peut-être, de venir signer « l’immixtion de l’adulte »[5]. Skateur comme « solution sinthomatique coordonnée à la conquête d’un semblant liant le sujet à un partenaire sexué »[6].
[2] Anaïs s’en va-t’en guerre, Marion Gervais, Quark Productions, 2013.
[3] Coccoz V., La clinique des adolescents : entrées et sorties du tunnel, Mental n°23, p 87.
[4] La bande du skate-park, Les nouvelles écritures du réel, Marion Gervais Lien Internet
[5] Miller J.-A., En direction de l’adolescence, Intervention de clôture 3ème journée de l’institut de l’enfant.
[6] Coccoz V., Ibid., p. 96-97.
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